La mauvaise application de la loi Littoral coûte cher aux communes littorales et les condamnations à verser des dommages et intérêts sont très nombreuses.
La CAA de Bordeaux vient de confirmer ce principe en validant la condamnation de la commune de Meschers-sur-Gironde à verser plus de 93.000 euros à un particulier ayant acheté un terrain qu’il pensait à tort constructible.
Les faits à l’origine de cette jurisprudence sont très classiques.
Un particulier s’était porté acquéreur de deux parcelles cadastrées section ZD n° 156 et 157, situées route de Beloire, par acte notarié le 25 novembre 2014 et pour une somme de 83 772 euros.
Avant cette vente, le 10 juillet 2014, la commune de Meschers-sur-Gironde avait délivré un certificat d'urbanisme déclarant réalisable une opération de construction sur ce terrain.
Le particulier en question avait alors obtenu un permis de construire pour la réalisation d’une maison d’habitation.
Le projet n’avait cependant pas pu être réalisé en raison du recours d’un voisin, qui a réussi à faire annuler le permis de construire par la justice administrative.
En effet, le tribunal administratif de Poitiers, a annulé ce permis de construire par un jugement du 21 décembre 2017, pour plusieurs motifs parmi lesquels figurait la méconnaissance des dispositions de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme, issues de la loi littoral n° 86-2 du 3 janvier 1986.
Le particulier s’est alors retourné contre la commune de Meschers-sur-Gironde, pour demander sa condamnation à l’indemniser de la faute commise.
Le tribunal administratif de Poitiers a alors condamné la commune de Meschers-sur-Gironde à lui verser la somme de 93 362,48 euros.
C’est cette condamnation que la Cour administrative d’appel de Bordeaux vient de confirmer dans cet arrêté du 30 novembre 2021.
1/. Sur le principe de la responsabilité de la commune de Meschers-sur-Gironde
1/. Sur la faute de la commune de Meschers-sur-Gironde
Selon la jurisprudence administrative : « toute illégalité commise par l'administration constitue une faute susceptible d'engager sa responsabilité, pour autant qu'il en soit résulté un préjudice direct et certain » (CE 30 janvier 2013 M. Imbert n° 339918, publié au recueil)
Le Conseil d’État a alors admis qu’une commune, déclarant constructible un terrain dans son document d’urbanisme ou dans le cadre d’une décision/note d’urbanisme, alors qu’en application des principes de l’article L. 121-8 précité tel n’aurait pas dû être le cas, commet une faute de nature à engager sa responsabilité administrative.
En effet, selon une décision du 08 avril 2015 : « après qu'une commune a classé un terrain en zone constructible par une délibération contraire à l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme (loi littoral), ce terrain a été acquis par une personne qui a obtenu un permis de construire. Annulation du permis de construire pour avoir été accordé en méconnaissance des dispositions de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme.... ,,La cour administrative d'appel a jugé que l'acquéreur avait, lors de l'acquisition des parcelles, une assurance suffisante, donnée par la commune et par l'Etat, de leur constructibilité tant au regard du plan d'occupation des sols que de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme et que le préjudice résultant pour la société de la différence entre le prix d'acquisition des terrains et leur valeur réelle trouvait son origine directe non dans les actes de cession de ces terrains, mais dans la modification illégale du plan d'occupation des sols de la commune. En retenant ainsi l'existence d'un lien de causalité directe entre les illégalités commises par l'administration et le préjudice subi par l'acquéreur (…), la cour a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis » (CE 08 avril 2015 Ministre de l’égalité des territoires et du logement n° 367167, mentionné dans les tables sur ce point).
Les juridictions administrative font alors très régulièrement application de ce régime de responsabilité : « Il résulte de l'instruction, et notamment des plans et photographies produites, que le lieu-dit " Kerroch ", où sont localisés les terrains appartenant à M. A... Du, comporte une trentaine de constructions diffuses, réparties le long d'une même voie de circulation. Il est entouré de parcelles non bâties, ainsi que de vastes espaces naturels et agricoles, et se situe à environ 4 kilomètres au sud-ouest du centre-bourg de la commune de Moëlan-sur-Mer. Il ne s'inscrit dans la continuité urbaine d'aucun secteur. Dans ces conditions, les parcelles de M. A... Du ne se situent pas en continuité avec une agglomération ou un village existant, à supposer même que le lieu-dit Kerroch ait comporté par le passé un ou plusieurs commerces, ce qui ne résulte pas de l'instruction. Par suite, c'est par une inexacte application des dispositions précitées du code de l'urbanisme que la commune de Moëlan sur mer a classé en zone 1NAhc constructible les parcelles cadastrées à la section CE 418, 420 et 422, lors de l'approbation de son plan d'occupation des sols le 28 septembre 2005, modifié le 28 mars 2006. Pour les mêmes raisons, le certificat d'urbanisme positif déclarant constructibles les terrains, délivré le 14 mai 2008, est entaché d'illégalité. Ces illégalités constituent des fautes de nature à engager la responsabilité de la commune de Moëlan-sur-Mer à l'égard de M. A... Du » (CAA Nantes 31 mars 2021 Commune de Moëlan-sur-Mer n° 19NT04719).
En l’espèce, c’est l’illégalité fautive du certificat d’urbanisme accordé le 10 juillet 2014 qui a été utilisée pour engager la responsabilité pour faute de la commune de Meschers-sur-Gironde.
En effet, et alors même que le certificat d'urbanisme du 10 juillet 2014 a été sollicité par le notaire en charge de la vente du terrain et qu'il y était mentionné que « les dispositions de la loi littoral sont applicables sur le territoire de la commune », le simple fait que ce certificat, dont l'objet était de fournir une assurance sur la constructibilité du terrain, indiquait que le terrain en cause pouvait être utilisé pour la réalisation de l'opération projetée par le particulier concerné, méconnaissant ainsi les dispositions de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune de Meschers-sur-Gironde.
Il importe de préciser que cette jurisprudence a été rendue à propos d’un certificat d’urbanisme pré-opérationnel.
La solution n’aurait pas nécessairement été différente en cas de certificat d’urbanisme d’informations.
En effet, le Conseil d’État a confirmé qu’une : « Cour administrative d'appel ayant relevé que le terrain litigieux avait été illégalement classé pour partie en zone UEb par le plan local d'urbanisme (PLU), alors que, situé dans la bande des cent mètres à partir du rivage, il ne pouvait être regardé comme un espace urbanisé au sens du III de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme.... ...Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu'elle n'a pas commis d'erreur de droit en en déduisant l'illégalité du certificat d'urbanisme délivré par le maire, qui faisait mention de ce classement, alors même que le certificat, délivré sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 410-1 du code de l'urbanisme, avait vocation non à préciser si le terrain pouvait être utilisé pour la réalisation d'une opération particulière mais seulement à indiquer les dispositions d'urbanisme applicables au terrain, ainsi que les limitations administratives au droit de propriété, le régime des taxes et participations d'urbanisme et l'état des équipements publics existants ou prévus » (CE 18 février 2019 Commune de l’Houmeau n° 414233, mentionné dans les tables).
Cette jurisprudence est logique dès lors qu’en application de la jurisprudence de Section Ponard une personne publique est dans l’obligation de ne pas appliquer un règlement illégal (CE Avis du 09 mai 2005 Marangio n° 277280, publié au recueil Lebon sur ce point).
2/. Sur les fautes de la victime
Pour tenter d’échapper à sa responsabilité, la commune de Meschers-sur-Gironde avait alors soulevé plusieurs fautes de la victime.
Aucune n’a été retenue par les juges d’appel bordelais, dont la jurisprudence comprend ici quelques enseignements intéressants.
En premier lieu, l'acte de vente du 25 novembre 2014 stipulait que « les dispositions de la loi littoral étant d'une valeur juridique supérieure au [...] plan local d'urbanisme, l'acquéreur déclare avoir été averti que la constructibilité du terrain objet des présentes peut être remise en cause par une interprétation restrictive que pourrait faire le juge administratif. L'acquéreur déclare avoir eu connaissance, dès avant ce jour, de cette situation, vouloir en faire son affaire personnelle et s'interdire toute action à ce sujet contre le vendeur ».
Toutefois la Cour a jugé qu’en l’espèce, l’acquéreur, qui n'était pas un professionnel de l'immobilier, n'avait pas commis d'imprudence fautive en accordant crédit au certificat d'urbanisme erroné délivré par la commune, attestant de la faisabilité de son projet, et sur la base duquel il avait acquis en tant que terrain constructible la parcelle susmentionnée en vue d'y construire une maison d'habitation.
En outre, la mention du certificat d'urbanisme selon laquelle « les dispositions de la loi littoral sont applicables sur le territoire de la commune » n'est pas de nature à exonérer, même partiellement, la commune de sa responsabilité, dès lors que le certificat mentionnait également, et sans équivoque, que « le terrain objet de la demande peut être utilisée pour la réalisation de l'opération envisagé » et que l'intéressé pouvait ainsi légitimement penser qu'aucune de ces mentions ne permettait de douter du caractère constructible du terrain.
Enfin, la commune faisait valoir que l’acquéreur aurait éventuellement pu exercer une action en nullité devant le juge judiciaire, pour erreur substantielle sur les qualités de l'objet de la vente. Toutefois selon la Cour administrative d’appel de Bordeaux, la possibilité d'une telle action, à supposer même que les conditions en soient réunies, n'est pas exclusive d'une action en responsabilité dirigée contre la commune devant la juridiction administrative, en raison de la faute consistant à avoir délivré un certificat d'urbanisme positif erroné.
En deuxième lieu, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a estimé que dès lors que l’acquéreur avait pu légitimement se fier aux assurances contenues dans le certificat d'urbanisme, il ne pouvait être regardé comme ayant commis une imprudence fautive en se portant acquéreur de la parcelle sans assortir le contrat d'une condition suspensive d'obtention d'un permis de construire.
En dernier lieu, la commune avait tenté d’utiliser la nouvelle rédaction de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme qui permet la densification des secteurs déjà urbanisé.
Or, selon la Cour administrative d’appel de Bordeaux, il ne résulte pas de l'instruction que le terrain en cause serait situé dans un secteur identifié par le schéma de cohérence territoriale et délimité par le plan local d'urbanisme pour l'application des dispositions précitées. Au surplus, il ne résulte pas de l'instruction que ce terrain, situé dans une partie du territoire communal non desservi par l'assainissement, non doté d'équipements ou de lieux collectifs et caractérisé par une faible densité des constructions implantées de façon relativement discontinue, s'insèrerait dans un secteur déjà urbanisé au sens des dispositions précitées. En l'absence d'éléments permettant d'estimer que le permis de construire initialement délivré et annulé serait susceptible d'être délivré légalement sur le fondement des nouvelles dispositions de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme, la commune n'est pas fondée à soutenir que le préjudice du requérant serait en lien direct avec son abstention à rechercher le bénéfice des nouvelles dispositions de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme.
2/. Sur les préjudices retenus
Conformément à la jurisprudence administrative en la matière : « Il résulte de l'instruction que M. et Mme B... ont acquis les parcelles cadastrées section CD nos 566 et 567 par actes notariés du 29 août 2007, auxquels étaient annexé le certificat d'urbanisme positif du 31 juillet 2007. Il existe ainsi un lien de causalité direct entre les renseignements d'urbanisme erronés figurant dans ce certificat d'urbanisme, auquel M. et Mme B... ont pu se fier sans commettre d'imprudence dès lors qu'ils n'étaient pas des professionnels de l'immobilier, et le dommage subi par eux tiré de ce qu'ils ont acheté des terrains en les croyant, à tort, constructibles » (CAA Nantes 24 novembre 2020 n° 19NT02608).
1/. Sur la perte de valeur vénale du terrain
La cour administrative d’appel de Bordeaux s’est tout d’abord interrogée sur la valeur du terrain en question en tant que terrain non constructible et donc sur le préjudice de perte de valeur vénale.
Le particulier en cause avait fait établir par un expert foncier un rapport qui indiquait que la valeur d'un terrain agricole dans le secteur concerné s'élève à 5 200 euros par hectare, valeur sur laquelle il y avait lieu d'opérer en l'espèce un abattement, compte tenu du caractère difficilement exploitable des parcelles, environnées d'habitations.
Il n’est pas systématiquement nécessaire de réaliser une expertise foncière pour évaluer la valeur vénale d’un terrain non constructibles grâce aux nombreuses données figurant désormais sur internet (V. par exemple https://app.dvf.etalab.gouv.fr).
La valeur vénale du terrain avait alors été fixée à 856 euros
Les juges administratifs d’appel bordelais ont validé cette évaluation et ont donc retenu un préjudice de perte de valeur vénale du terrain d’un montant de 82 916 euros correspondant à la différence entre le prix d'acquisition du terrain et sa valeur en tant que terrain non constructible.
2/. Sur les frais engagés pour l’acquisition du terrain
Outre la perte de valeur vénale, plusieurs autres frais peuvent être indemnisés.
Il en va ainsi des frais de notaire payé en trop.
En principe, il convient de démontrer le montant des frais de notaire normalement payé sur la base de l’acquisition d’un terrain en tant que terrain inconstructible.
Le préjudice est alors constitué par la différence entre les frais de notaire payés et ceux qui auraient normalement dû être payés compte-tenu de la véritable valeur vénale du terrain.
En l’espèce, il semblerait à la lecture de la décision de la Cour administrative d’appel de Bordeaux que les juges ont retenu l’intégralité des frais de notaire comme préjudice indemnisable.
La motivation de l’arrêt sur ce point pourrait toutefois être incomplète.
3/. Sur le préjudice morale
Les juridictions administratives ne sont généralement pas très généreuses en matière de préjudice moral dans ce type d’action en responsabilité.
Les préjudices sont très habituellement évalués entre 500 et 1.000 euros.
En l’espèce, la condamnation a été à hauteur de 3.000 euros, ce qui est relativement important.
Pour retenir un tel montant, la Cour et le Tribunal se sont appuyés sur le fait que le requérant avait décrit son projet comme portant sur la construction d'une maison d'habitation pour lui et ses deux enfants nés en 2003 et 2005 sur un terrain acquis avec le capital qui lui a été versé à la suite au décès de son épouse en 2014 et qui s'est mobilisé en vain en vue de la réalisation de son projet de construction qui ne pouvait aboutir.
Au final et comme il est possible de le constater, les juridictions administratives condamnent fréquemment les communes ayant fait une mauvaise application de la loi Littoral.
Le recours à un avocat est alors obligatoire pour exercer une telle action indemnitaire qui présente très souvent, de bonnes chances de succès.
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